Re: Le tout et le n'importe quoi de la lecture au jardin
Posté : ven. 22 nov. 2019, 20:13
allons un peu voir du côté de Colette...
"
"Je crève, entends-tu, je crève à l'idée que je n'ai que seize ans ! Ces années qui viennent, ces années de bachot, d'examens, d'institut professionnel, ces années de tâtonnements, de bégaiements, où il faut recommencer ce qu'on rate, où on remâche deux fois ce qu'on n'a pas digéré, si on échoue... Ces années où il faut avoir l'air, devant papa et maman, d'aimer une carrière pour ne pas les désoler, et sentir qu'eux-mêmes se battent les flancs pour paraître infaillibles, quand ils n'en savent pas plus que moi sur moi... "
" OH ! MES BEAUX CINQUANTE ANS !»
98
Mais alors que Colette, entre 1920 et 1926, dépeint dans ces deux livres, le naufrage de l’âge en évoquant le moment décisif où la maîtresse vieillissante se transforme en vieille femme, elle semble bien démentir, dans la vie, ce qu’elle met en scène dans la fiction. Approchant elle-même de la cinquantaine, elle adopte une position plus combattive. En 1924, elle se soumet à un traitement de rajeunissement en se faisant injecter du sang jeune par le docteur Helan Jaworski qui publie, en 1929, l’ouvrage Comment rajeunir. Pour la bande du livre, elle écrit : « Redevenir jeune, non pas. Devenir plus jeune qu’on ne l’était, oui » [33]
[33]
Cette information provient de l’ouvrage Pichois, Cl. et…
. Il faut donc agir, ruser avec l’ennemi, le combattre avec des traitements, des cosmétiques et surtout, ne pas céder aux assauts de la vieillesse qui nous talonne. La poudre de riz, le trait de Khol pour animer le regard, le bâton de raisin, la teinture aux reflets flamboyants, rien n’est de trop pour ravaler le bel édifice de la beauté féminine.
"« Elle luttait contre tous ses maux avec une élasticité surprenante, les oubliait, les déjouait, remportait sur eux des victoires passagères et éclatantes, rappelait à elle, pour des jours entiers, ses forces évanouies » [38]
[38]
Id., 275.
.
105
Colette n’oubliera jamais son incroyable « plaisir de lutter », sa « force de vie jeune et malicieuse telle qu’elle parvenait à séduire et entraîner un corps déjà à demi enchaîné par la mort » [39]
[39]
Id. 276.
.
106
Deux ans plus tard, dans La Naissance du jour (1928), elle revient sur la belle vieillesse de Sido et elle revoit dans sa mémoire celle « qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur », cette mère aimée « qui ne cessa elle-même d’éclore pendant trois quarts de siècle ». Femme admirable, en vérité, qui ne se fana jamais, et qui dans sa vieillesse extrême, vivait comme les fleurs de son jardin, une perpétuelle éclosion, elle avait transmis à sa fille le secret du bien vieillir. Et ce fut peut-être, pour Colette, le don le plus précieux.
107
« Je la mets à part, elle, de qui me vient le don de secouer les années comme un pommier ses fleurs » [40]
[40]
Id, 624.
.
« UNE GRACIEUSE JEUNE FILLE DE QUATRE-VINGTS ANS »
108
La maturité de Colette, comme celle de George Sand, déborde d’activités et de satisfactions. Aux dires de son biographe Jean Chalon, elle « s’applique à réussir sa soixantaine. Elle veut cette décade aussi féconde que la cinquantaine qui vient de s’écouler, afin de pouvoir s’exclamer à son tour « Où sont mes bienheureux soixante ans !». Elle est une « jeune femme de soixante ans », aimée par un homme de quarante-deux ans ! [et] le délire des sens n’a pas cessé comme en témoigne la correspondance » [41]
[41]
Chalon, Jean, Op. cit.,p. 271.
. Travail, troisième mariage avec Goudeket, natation et jardinage en Provence, voyage à New York, critique théâtrale, romans, articles l’occupent tellement qu’elle ne trouve pas, elle non plus, le temps de vieillir. Avec l’avènement de la guerre, de fortes souffrances à sa hanche droite (elle avait déjà souffert d’une névrite en 1934) et les bronchites répétées l’épuisent. Atteinte d’arthrite, à partir de 1941, elle a de plus en plus de difficultés à se déplacer. À soixante-huit ans, elle écrit : « Maurice pense que j’ai toujours mes beaux cinquante ans »;« Dieu, que c’est embêtant de vieillir !». Elle sent que la santé, l’agilité et avec elles, la liberté, l’ont abandonnée.
109
Mais l’écriture, elle, ne cesse pas. Entre 1940 et 1950 se succèdent : Chambre d’hôtel, Julie de Carneilhan, Journal à rebours, Le Képi, Gigi, Paris de ma fenêtre, L’Étoile Vesper, Le Fanal bleu, pour ne citer que les plus connues.
110
Bien que sa santé se détériore de façon irréversible et que son infirmité l’oblige à passer ses journées étendue sur son divan-radeau, elle conserve ses coquetteries de jeune fille : toujours soignée, maquillée, impeccable, les ongles faits, elle porte un sobre tailleur classique et un beau foulard bleu à pois blancs. Les yeux soulignés de khol, la bouche fine et fardée de rouge, les cheveux frisés encadrant joliment son visage, elle reçoit aimablement les visites qui viennent distraire son isolement forcé. « Cher Pierre, je suis toujours alitée et je ne puis marcher, écrit-elle à Pierre Brisson, directeur du Figaro littéraire. Un jour, vous viendrez me voir. Je n’aurai pas honte devant vous, car j’ai beaucoup de cheveux et je sens bon » [42]
[42]
Cité par Jean Chalon, Op. cit, p. 398.
. Sans doute se souvenait-elle de la répulsion qu’elle éprouvait, enfant, envers les vieilles femmes du village ?
"Patience, c’était aussi la devise de G. Sand. Une patience faite de renoncements, de contraintes, de résignation, dont on s’accommode progressivement :"
htm
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"Je crève, entends-tu, je crève à l'idée que je n'ai que seize ans ! Ces années qui viennent, ces années de bachot, d'examens, d'institut professionnel, ces années de tâtonnements, de bégaiements, où il faut recommencer ce qu'on rate, où on remâche deux fois ce qu'on n'a pas digéré, si on échoue... Ces années où il faut avoir l'air, devant papa et maman, d'aimer une carrière pour ne pas les désoler, et sentir qu'eux-mêmes se battent les flancs pour paraître infaillibles, quand ils n'en savent pas plus que moi sur moi... "
" OH ! MES BEAUX CINQUANTE ANS !»
98
Mais alors que Colette, entre 1920 et 1926, dépeint dans ces deux livres, le naufrage de l’âge en évoquant le moment décisif où la maîtresse vieillissante se transforme en vieille femme, elle semble bien démentir, dans la vie, ce qu’elle met en scène dans la fiction. Approchant elle-même de la cinquantaine, elle adopte une position plus combattive. En 1924, elle se soumet à un traitement de rajeunissement en se faisant injecter du sang jeune par le docteur Helan Jaworski qui publie, en 1929, l’ouvrage Comment rajeunir. Pour la bande du livre, elle écrit : « Redevenir jeune, non pas. Devenir plus jeune qu’on ne l’était, oui » [33]
[33]
Cette information provient de l’ouvrage Pichois, Cl. et…
. Il faut donc agir, ruser avec l’ennemi, le combattre avec des traitements, des cosmétiques et surtout, ne pas céder aux assauts de la vieillesse qui nous talonne. La poudre de riz, le trait de Khol pour animer le regard, le bâton de raisin, la teinture aux reflets flamboyants, rien n’est de trop pour ravaler le bel édifice de la beauté féminine.
"« Elle luttait contre tous ses maux avec une élasticité surprenante, les oubliait, les déjouait, remportait sur eux des victoires passagères et éclatantes, rappelait à elle, pour des jours entiers, ses forces évanouies » [38]
[38]
Id., 275.
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105
Colette n’oubliera jamais son incroyable « plaisir de lutter », sa « force de vie jeune et malicieuse telle qu’elle parvenait à séduire et entraîner un corps déjà à demi enchaîné par la mort » [39]
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Id. 276.
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Deux ans plus tard, dans La Naissance du jour (1928), elle revient sur la belle vieillesse de Sido et elle revoit dans sa mémoire celle « qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur », cette mère aimée « qui ne cessa elle-même d’éclore pendant trois quarts de siècle ». Femme admirable, en vérité, qui ne se fana jamais, et qui dans sa vieillesse extrême, vivait comme les fleurs de son jardin, une perpétuelle éclosion, elle avait transmis à sa fille le secret du bien vieillir. Et ce fut peut-être, pour Colette, le don le plus précieux.
107
« Je la mets à part, elle, de qui me vient le don de secouer les années comme un pommier ses fleurs » [40]
[40]
Id, 624.
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« UNE GRACIEUSE JEUNE FILLE DE QUATRE-VINGTS ANS »
108
La maturité de Colette, comme celle de George Sand, déborde d’activités et de satisfactions. Aux dires de son biographe Jean Chalon, elle « s’applique à réussir sa soixantaine. Elle veut cette décade aussi féconde que la cinquantaine qui vient de s’écouler, afin de pouvoir s’exclamer à son tour « Où sont mes bienheureux soixante ans !». Elle est une « jeune femme de soixante ans », aimée par un homme de quarante-deux ans ! [et] le délire des sens n’a pas cessé comme en témoigne la correspondance » [41]
[41]
Chalon, Jean, Op. cit.,p. 271.
. Travail, troisième mariage avec Goudeket, natation et jardinage en Provence, voyage à New York, critique théâtrale, romans, articles l’occupent tellement qu’elle ne trouve pas, elle non plus, le temps de vieillir. Avec l’avènement de la guerre, de fortes souffrances à sa hanche droite (elle avait déjà souffert d’une névrite en 1934) et les bronchites répétées l’épuisent. Atteinte d’arthrite, à partir de 1941, elle a de plus en plus de difficultés à se déplacer. À soixante-huit ans, elle écrit : « Maurice pense que j’ai toujours mes beaux cinquante ans »;« Dieu, que c’est embêtant de vieillir !». Elle sent que la santé, l’agilité et avec elles, la liberté, l’ont abandonnée.
109
Mais l’écriture, elle, ne cesse pas. Entre 1940 et 1950 se succèdent : Chambre d’hôtel, Julie de Carneilhan, Journal à rebours, Le Képi, Gigi, Paris de ma fenêtre, L’Étoile Vesper, Le Fanal bleu, pour ne citer que les plus connues.
110
Bien que sa santé se détériore de façon irréversible et que son infirmité l’oblige à passer ses journées étendue sur son divan-radeau, elle conserve ses coquetteries de jeune fille : toujours soignée, maquillée, impeccable, les ongles faits, elle porte un sobre tailleur classique et un beau foulard bleu à pois blancs. Les yeux soulignés de khol, la bouche fine et fardée de rouge, les cheveux frisés encadrant joliment son visage, elle reçoit aimablement les visites qui viennent distraire son isolement forcé. « Cher Pierre, je suis toujours alitée et je ne puis marcher, écrit-elle à Pierre Brisson, directeur du Figaro littéraire. Un jour, vous viendrez me voir. Je n’aurai pas honte devant vous, car j’ai beaucoup de cheveux et je sens bon » [42]
[42]
Cité par Jean Chalon, Op. cit, p. 398.
. Sans doute se souvenait-elle de la répulsion qu’elle éprouvait, enfant, envers les vieilles femmes du village ?
"Patience, c’était aussi la devise de G. Sand. Une patience faite de renoncements, de contraintes, de résignation, dont on s’accommode progressivement :"
htm